Postures de Yoga

Posture de Yoga : Makarasana, la Posture du Crocodile

Angélique Goguen 

Il y a quelques années, lors d’un stage de yoga à Annecy, j’ai assisté à une scène qui m’a marquée. Une étudiante en médecine, visiblement épuisée par ses gardes de nuit, s’est effondrée en larmes en plein milieu d’une séance. Pas pendant une posture difficile, non. Pendant Makarasana, la posture du crocodile. Cette asana si simple — allongée sur le ventre, front posé sur les avant-bras — qu’elle en paraît presque ridicule. Et pourtant, c’est dans ce relâchement total, dans cette permission de ne rien faire, que son corps a lâché toutes les tensions accumulées.

Le professeur, un ancien kinésithérapeute reconverti dans le yoga après un burn-out, nous a dit quelque chose que je n’ai jamais oublié : « Les postures les plus puissantes ne sont pas toujours les plus spectaculaires. Parfois, c’est dans l’immobilité qu’on trouve la force. »

Le yoga comprend, comme vous le savez sûrement, de nombreuses postures inspirées d’animaux. Mais Makarasana, la posture du crocodile, se distingue par sa simplicité trompeuse et ses bienfaits profonds. Accessible à tous les niveaux, elle incarne cette sagesse du yoga qui nous rappelle que se détendre est parfois plus difficile que se tordre en huit.

Que signifie Makarasana ?

Makarasana vient du sanskrit : « makara » (crocodile) et « asana » (posture). Littéralement, c’est la posture du crocodile, inspirée de la façon dont cet animal se repose, immobile, à la surface de l’eau ou sur les berges boueuses. Et cette référence n’est pas anodine.

Des pratiquantes de yoga s'entraînent dans une pièce blanche lumineuse.
« Voilà ! Nous sommes presque dans la pose naturelle d’un crocodile ! »

La symbolique du crocodile dans la tradition indienne

Le crocodile n’est pas juste un reptile aquatique. Dans la mythologie hindoue, c’est un animal chargé de sens. Il incarne d’abord la patience stratégique : ce prédateur sait attendre des heures, immobile, avant de bondir au moment précis. Cette capacité à demeurer dans l’instant présent, sans agitation, sans précipitation, c’est précisément ce que vise la pratique du yoga.

Ensuite, le crocodile représente la puissance contenue. Sa force n’est pas dans l’agitation mais dans l’ancrage, la stabilité. Sous son immobilité apparente se cache une énergie colossale. C’est une métaphore parfaite pour Makarasana : une posture qui semble passive mais qui, en réalité, active des processus profonds de guérison et de régénération.

Enfin, sa capacité à se fondre dans son environnement — camouflé dans l’eau, invisible — évoque l’adaptabilité et le lâcher-prise. Le crocodile ne lutte pas contre le courant, il s’y abandonne. C’est exactement ce que cette asana nous invite à faire : cesser de résister, accepter d’être porté.

Claude Lévi-Strauss, dans La Pensée sauvage, analysait comment les sociétés traditionnelles utilisaient les animaux comme « opérateurs symboliques » pour penser le monde. Le crocodile, dans le yoga, est un de ces opérateurs : il nous enseigne que la vraie force se trouve parfois dans le non-agir.

🐊 Makara dans la mythologie

Dans l’iconographie hindoue, Makara est aussi une créature mythique mi-crocodile mi-poisson, monture du dieu Varuna (dieu des océans). Elle symbolise la fluidité entre conscient et inconscient, entre surface et profondeur — une belle métaphore pour une posture de relaxation profonde.

Makarasana est proche d’une autre posture célèbre, la posture du cobra (Bhujangasana), mais avec une intention radicalement différente : là où le cobra active et ouvre, le crocodile apaise et referme.

Comment faire la posture du crocodile ?

La beauté de Makarasana réside dans sa simplicité désarmante. Pas besoin de souplesse d’acrobate ni de force herculéenne. Il suffit de s’allonger sur le ventre et de… ne rien faire. Ou presque.

La technique étape par étape

Installation au sol — Allongez-vous sur le ventre, de préférence sur un tapis de yoga confortable. Les jambes sont légèrement écartées (largeur du bassin), les pieds retombent naturellement sur les côtés. Pas besoin de contracter quoi que ce soit.

Position des bras — Croisez vos avant-bras devant vous et posez votre front (ou votre menton si c’est plus confortable) sur vos mains. Vos coudes ne doivent pas être trop serrés — imaginez que vous êtes un crocodile paresseux, pas un soldat au garde-à-vous.

Relâchement total — C’est là que ça devient intéressant. Laissez tout votre corps s’enfoncer dans le sol. Vos épaules tombent, votre dos se relâche, vos hanches s’abandonnent. Vous ne tenez rien. Vous êtes simplement là, porté par la Terre.

Respiration abdominale — Inspirez profondément en sentant votre ventre se gonfler contre le sol (ça peut sembler bizarre au début, c’est normal). À l’expiration, laissez tout retomber. Cette respiration ventrale masse vos organes internes et active le nerf vague, responsable de la réponse parasympathique (le fameux « mode détente » du système nerveux).

Durée — Restez dans cette position 3 à 5 minutes minimum. Certains yogis expérimentés tiennent 10, voire 15 minutes. Le temps n’a plus vraiment d’importance quand on est bien installé dans le crocodile.

💡 Conseil de prof

Si vous avez du mal à lâcher prise, essayez cette visualisation : imaginez que votre corps devient de plus en plus lourd à chaque expiration, comme s’il s’enfonçait lentement dans du sable chaud. Ou que vous êtes un crocodile flottant à la surface d’un lac calme. Ridicule ? Peut-être. Efficace ? Absolument.

Si vous débutez dans le yoga et souhaitez être guidé correctement, n’hésitez pas à suivre un cours avec un professeur qualifié. Vous éviterez ainsi les erreurs courantes et pourrez découvrir d’autres postures complémentaires, comme la posture du corbeau (Bakasana) pour travailler l’équilibre.

Les points clés pour une pratique optimale

Makarasana est une posture qui paraît simple, mais qui demande une certaine conscience corporelle pour en tirer tous les bénéfices. Voici les éléments essentiels à surveiller.

La respiration abdominale profonde — C’est le cœur de cette asana. Beaucoup de gens respirent en mode « thoracique » au quotidien (respiration superficielle, épaules qui montent). Ici, il faut inverser la tendance. En inspirant, votre ventre pousse contre le sol. En expirant, il se relâche complètement. Cette respiration ventrale active le diaphragme, masse les organes digestifs et calme le système nerveux.

L’alignement sans tension — Votre colonne vertébrale doit rester neutre. Pas de cambrure excessive, pas de torsion. Si vous sentez une tension dans le bas du dos, ajustez l’écartement de vos jambes ou placez un petit coussin sous votre ventre.

Le relâchement des extrémités — Vos pieds retombent naturellement sur les côtés, vos orteils pointent vers l’extérieur. Vos mains soutiennent légèrement votre tête sans créer de pression. Vos mâchoires sont détendues, votre langue repose au fond de votre bouche. Tous ces micro-relâchements s’additionnent pour créer une détente globale.

Pour enrichir votre pratique, vous pouvez ajouter des mantras silencieux ou répéter mentalement une intention (« je me relâche », « je m’abandonne », « je suis en sécurité »). Cette dimension mentale transforme Makarasana en une forme de méditation allongée.

Après avoir bien étiré votre dos, vous pourrez enchaîner avec la posture du poisson (Matsyasana) pour ouvrir la cage thoracique.

Les erreurs classiques (et comment les éviter)

Même dans une posture aussi simple, il existe des pièges. En voici quelques-uns que j’ai observés (et commis moi-même) au fil des années.

Forcer la cambrure — Certaines personnes, habituées aux postures dynamiques, ont tendance à « activer » leur dos même dans le crocodile. Résultat : une cambrure lombaire désagréable et des tensions parasites. Makarasana n’est pas Bhujangasana (le cobra). Ici, on ne cherche pas à ouvrir, on cherche à fermer, à se replier sur soi dans un cocon de détente.

Serrer les coudes — Si vos bras sont trop rapprochés sous votre menton, vos épaules vont se crisper. Écartez légèrement les coudes pour créer plus d’espace. Imaginez que vous êtes un crocodile paresseux, pas un militaire en position de tir.

Respirer avec la poitrine — C’est l’erreur numéro un. Si vous respirez uniquement avec le thorax, vous passez à côté de 80% des bénéfices de cette posture. La respiration abdominale est non négociable. Elle active le nerf vague, réduit le cortisol (hormone du stress) et induit un état de relaxation profonde.

Vouloir « performer » — Makarasana n’est pas une compétition. Certains resteront 3 minutes, d’autres 15. Certains s’endormiront (c’est OK !), d’autres resteront hyperconscients. Il n’y a pas de « bonne » façon de faire le crocodile. L’important, c’est de s’accorder ce temps de pause sans jugement.

⚠️ Signe d’alerte

Si vous ressentez une douleur (différente d’un simple inconfort) dans le bas du dos, le cou ou les épaules, sortez immédiatement de la posture. Makarasana ne doit jamais être douloureuse. Si ça tire, c’est que quelque chose cloche dans votre installation.

Les bienfaits de la posture du crocodile

Pourquoi consacrer 5 à 10 minutes de sa vie à s’allonger sur le ventre sans bouger ? Parce que, contrairement aux apparences, Makarasana est une posture thérapeutique puissante, reconnue autant par les yogis traditionnels que par les kinésithérapeutes modernes.

Relaxation profonde et gestion du stress

Makarasana active le système nerveux parasympathique, responsable de la régulation du stress. En respirant profondément avec le ventre, vous stimulez le nerf vague, ce qui entraîne une cascade de réactions physiologiques : baisse du rythme cardiaque, diminution de la tension artérielle, réduction du cortisol. C’est un antidote naturel au stress chronique qui ronge notre société.

Comme le soulignait le sociologue Alain Ehrenberg dans La Fatigue d’être soi, nous vivons dans une époque d’injonction permanente à la performance. Makarasana est un acte de résistance : une permission de ne rien faire, de ne rien produire, de simplement être.

Amélioration de la capacité respiratoire

La respiration abdominale pratiquée dans cette posture renforce le diaphragme et augmente la capacité pulmonaire. C’est particulièrement bénéfique pour les personnes asthmatiques, anxieuses ou souffrant de respiration superficielle chronique (très courante chez les travailleurs de bureau).

Soulagement des douleurs lombaires

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, s’allonger sur le ventre (avec un bon alignement) décompresse la colonne vertébrale et relâche les muscles para-vertébraux. Beaucoup de kinés recommandent Makarasana aux patients souffrant de lombalgie chronique. Évidemment, si vous avez une hernie discale ou une blessure aiguë, consultez un professionnel avant.

Stimulation digestive

La pression du ventre contre le sol, combinée à la respiration abdominale, masse doucement les organes digestifs : intestins, foie, rate. Cela favorise le transit, réduit les ballonnements et améliore la digestion. Certains yogis pratiquent Makarasana spécifiquement après les repas (en attendant 1h minimum) pour faciliter la digestion.

Connexion corps-esprit

En ralentissant, en respirant, en observant les sensations, vous développez une conscience corporelle accrue. Vous sortez du mode « pilote automatique » pour habiter vraiment votre corps. C’est ce que les bouddhistes appellent la pleine conscience (mindfulness), et c’est probablement le bénéfice le plus précieux de tous.

Avant d’entrer dans Makarasana, vous pouvez vous échauffer avec la posture de l’aigle (Garudasana) pour ouvrir les épaules et préparer le haut du corps.

Contre-indications et précautions

Bien que Makarasana soit généralement accessible à tous, certaines situations nécessitent des précautions ou des adaptations.

Problèmes respiratoires sévères — Si vous souffrez d’asthme aigu, d’insuffisance respiratoire ou de toute pathologie qui rend la respiration ventrale difficile, cette posture peut être inconfortable. Dans ce cas, privilégiez une posture sur le dos ou sur le côté.

Blessures à la colonne vertébrale — Hernie discale, fracture vertébrale, scoliose sévère : consultez un professionnel avant de pratiquer. Dans certains cas, Makarasana est bénéfique ; dans d’autres, elle peut aggraver la situation. Seul un kinésithérapeute ou un médecin peut évaluer votre cas spécifique.

Grossesse avancée — Au-delà du premier trimestre, s’allonger sur le ventre devient physiquement impossible et inconfortable. Les femmes enceintes peuvent adapter la posture en se couchant sur le côté (posture du crocodile latéral) avec un coussin entre les genoux.

Reflux gastriques et problèmes digestifs — Si vous souffrez de RGO (reflux gastro-œsophagien) sévère, la pression sur le ventre peut aggraver les symptômes. Attendez au moins 2h après un repas avant de pratiquer, ou placez un coussin sous votre poitrine pour élever légèrement le torse.

✅ Bon réflexe

En cas de doute, consultez un professeur de yoga expérimenté ou un professionnel de santé. Mieux vaut une posture adaptée et bénéfique qu’une posture « classique » mais inadaptée à votre situation.

Les variantes de Makarasana

Le yoga n’est pas une discipline rigide. Chaque corps est différent, chaque besoin aussi. Voici quelques adaptations de Makarasana pour affiner votre pratique.

Un pratiquant de yoga effectue une posture sur la paume de ses mains.
Si vous pratiquez seul, faites bien attention aux mouvements, et étirez-vous à la fin de la séance !

Makarasana avec soutien

Placez un coussin ou un bolster sous votre ventre (au niveau du pubis) pour réduire la pression sur le bas du dos. Cette variante est idéale pour les personnes souffrant de lombalgie ou ayant une cambrure lombaire prononcée. Le coussin élève légèrement le bassin et crée un angle plus confortable pour la colonne.

Makarasana avec bras étendus

Plutôt que de croiser les avant-bras, étendez-les devant vous, paumes au sol ou légèrement surélevées sur un bloc. Cette variante étire davantage les épaules et le haut du dos. Elle est particulièrement appréciée des personnes qui travaillent toute la journée devant un ordinateur (épaules enroulées vers l’avant).

Makarasana jambes écartées

Écartez davantage les jambes (plus large que le bassin) pour augmenter la stabilité et réduire encore plus la tension dans le bas du dos. Cette variante est utile pour les personnes ayant des hanches rigides ou des tensions dans les adducteurs.

Makarasana dynamique (avec micro-mouvements)

Pour les esprits agités qui ont du mal à rester immobiles, vous pouvez introduire de tout petits mouvements : rotation lente de la tête de droite à gauche, légère flexion alternée des genoux, micro-ondulations de la colonne. Ces mouvements subtils maintiennent une forme d’activité tout en conservant l’esprit de la posture.

Le crocodile, ou l’art de ne rien faire

Makarasana est une posture paradoxale. Elle ne demande aucune prouesse physique, aucune souplesse particulière, aucun équipement sophistiqué. Et pourtant, elle reste une des asanas les plus difficiles à maîtriser. Pourquoi ? Parce qu’elle exige quelque chose que notre société valorise de moins en moins : la capacité à ne rien faire.

Dans un monde obsédé par la productivité, l’optimisation, le « hustle », s’allonger sur le ventre pendant 10 minutes sans consulter son téléphone relève de l’acte subversif. C’est une forme de résistance douce contre l’accélération généralisée de nos vies.

Le philosophe Byung-Chul Han, dans La Société de la fatigue, parle de notre époque comme d’une ère de « violence de la positivité » — cette injonction permanente à être actif, performant, optimisé. Makarasana nous rappelle que le repos n’est pas une récompense qu’on gagne après avoir été productif. C’est un droit fondamental, une nécessité biologique, un acte de soin envers soi-même.

Alors la prochaine fois que vous déroulez votre tapis, accordez-vous ces quelques minutes de crocodile. Sans culpabilité, sans agenda, sans attente. Juste vous, votre respiration et le sol qui vous porte. C’est peut-être la chose la plus révolutionnaire que vous ferez de votre journée.

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